L’œuvre tourmentée de Shimamoto

Japan'Art

Shozo Shimamoto (1928-2013) est un artiste peintre japonais ayant eu son studio artistique dans la ville de Nishinomiya. Il fonda avec d’autres le mouvement d’avant-garde Gutai (1954-72). Le terme vient de Gu : instrument, Taï : corps. Il s’agit d’un mouvement s’inscrivant dans la philosophie de l’Art Action (basé sur la performance dans la démarche créative), désireux d’ouvrir l’art japonais à des techniques qui en révolutionneraient les formes et qui trancherait avec l’art traditionnel. Les artistes de Gutai cherchaient une liberté maximale d’expression tout en fusionnant avec les forces élémentaires de la nature. Le Gutai est donc une véritable révolution plastique basé sur un art du concret impliquant une gestualité et un investissement physique de l’artiste de même qu’un lien entre l’œuvre et l’espace qui l’entoure.

Shozo Shimamoto a également enseigné à des enfants et des personnes en situation de handicap mental afin de leur faire découvrir une nouvelle vision de l’art. Shimamoto poursuit au Japon ce que Lucio Fontana avait initié en Italie avec son Art Informel : tout comme Fontana, il lacère ses toiles afin d’en faire resurgir la fragilité inhérente du support.

Japan'Art

Shozo Shimamoto. Holes. 1954. Peinture à l’huile sur papier. 892 x 699 mm.
Tate Modern. Londres

 

La toile présentée aujourd’hui s’intitule Holes et date de 1954. Il s’agit d’une superposition de couches de papier journal collées ensemble au moyen d’une colle faite d’eau et de farine. La surface fut ensuite peinte en blanc avec quelques touches de bleu pâle. Après ce processus de superposition vient le processus de destruction : il gratte, entaille, perce, lacère, fait des trous afin de faire apparaître les différentes couches jusqu’au cadre en bois noir servant de support. De loin le spectateur peut avoir l’impression de voir un paysage lunaire avec ses bosses et cratères.

La pratique de Shimamoto est proche de l’iconoclasme et prend le contrepied de l’ordre et du raffinement de l’art traditionnel japonais. Dans une lettre de 2002 adressée au Tate Modern Museum de Londres où se trouve cette œuvre, Shimamoto écrit qu’il commença à peindre sur des couches de papier journal collées à l’amidon car au début des années 50 il n’avait pas assez d’argent pour acheter des toiles. Cette œuvre fait partie d’une série intitulée Holes initiée en 1949-50, durant l’occupation américaine d’après-guerre au Japon. Le contraste entre les couleurs et teintes délicates et la violence du processus créatif (dans un geste agressif et martial il heurte non seulement la surface mais aussi l’intérieur de l’œuvre jusqu’à aboutir à un sentiment de maltraitance de l’œuvre) est symptomatique de cette période troublée. L’artiste souhaitait évoquer l’entropie de la décadence ainsi que la fracturation de la culture japonaise au sortir de la deuxième guerre mondiale.

-Article rédigé par Tony-