Retrogaming et cartmodding, qui profite à l’autre?

Ce billet est une relecture d’un article paru en mars 2015 dans le fanzine Taikenban, il reste néanmoins toujours d’actualité. 

Alors que l’arrivée de patch permettant de customiser un jeu (traduction, ajout de licences, de nouvelles textures…) est le plus souvent saluée par l’assemblée, le cartmodding jouit d’une réputation sulfureuse. Pourtant tout n’est pas si sombre.

Cartmodding Kesako?

En termes simples, le cartmodding consiste à remplacer les composants contenant le programme d’un jeu donneur par d’autres composants contenant un nouveau jeu ou bien une traduction/modification du jeu donneur.

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Initialement réservé à une petite poignée de passionnés d’électronique, le cartmod (pour faire court) s’est progressivement démocratisé avec l’essor d’internet où l’on peut désormais trouver assez facilement la documentation et le matériel nécessaire pour sa réalisation, du moins pour les plus basiques. Mais se brûler le doigt avec un fer à souder ou respirer des vapeurs d’étain n’est pas des plus attrayants, qu’est ce qui peut bien pousser Marcel, cartmoddeur en herbe, à passer ses week ends à tâter du fer?

 

La gangrène du cartmodding

Marcel est malin, Marcel observe depuis un certain temps un phénomène qui prend de l’ampleur, la flambée du rétro. Nous ne parlons pas ici du joueur nostalgique qui aime ressortir sa vieille Atari et verse sa petite larmichette en entendant le bruit caractéristique de Pong, nous parlons de la frénésie propre aux collectionneurs, cet attrait pour posséder la pièce rare. Après tout, c’est l’essence même du collectionneur, cette passion qui l’anime. Cependant la passion du jeu peut conduire à certaines dérives ou excès.

Marcel ne juge pas, après tout chacun fait ce qui lui plait, mais Marcel constate. Le prix des jeux s’envole jusqu’à atteindre des sommes folles. Ces dernières années, certains jeux ont vu leur prix doubler voire tripler et malgré tout, ils se vendent. Marcel se souvient alors de cet article où un forumeur sans moyens mais préférant jouer sur le hardware original avait réussi à se faire un Demon Crest Super Nintendo pour pas cher. Marcel se documente, il faut un peu de matériel et du temps. Ça tombe bien, Marcel en a. Des compétences en électronique? Marcel n’en a pas, mais au final peu importe, Marcel n’a pas besoin de comprendre ce qu’il va faire, de gentils forumeurs ont tout détaillé dans des tutos pour lui… Non pas pour lui, pour d’autres passionnés, mais cela Marcel s’en moque.

Vrai ou faux ? that is the question…

Tiens un colis de Chine, déjà? Internet est magique ! En quelques semaines Marcel reçoit de quoi s’amuser s’enrichir. Par quoi commencer ? La megadrive ? Mouais moins vendeur pour certains, la Super Nintendo ? Oui c’est une bonne idée, en ce moment elle a le vent en poupe. Problème, Marcel n’a pas de Super Nintendo, tant pis il essayera sa cartouche chez un pote. En 1 heure de temps, (Marcel débute) Nighmare busters est né. Magie d’internet où l’on peut désormais se procurer des jeux non sortis à l’époque ou des traductions des plus gros jeux de la machine jadis réservés au sol nippon. Direction la maison du copain pour tester son œuvre. Le copain, d’abord moqueur, devient presque admiratif lorsque le premier logo s’affiche à l’écran, décidément Marcel est trop fort. Il lui faut absolument ce jeu pour faire bien dans sa collection. Heureusement Marcel est généreux, son ami pourra agrandir sa collection.  Pour 30€, prix d’ami.

De retour du cash, où il s’est procuré une super Nintendo et quelques jeux  pour « tester », Marcel écume désormais les sites de traduction et les sites de roms. Rapidement les jeux se multiplient sur son établi improvisé. Curieusement des traductions de RPG jamais sortis en occident à l’époque ou alors des pièces bien recherchées des collectionneurs. Pour en faire profiter le plus grand nombre (Marcel est généreux ne l’oublions pas),  Marcel a trouvé un site pour diffuser son œuvre. Réservoir d’artiste en herbe, eBay permet de proposer ses créations à tous et ce, toujours à un prix d’ami. Bien sûr Marcel se fait une petite marge (de  10 à 20 fois le prix de revient) mais cela lui paie tout juste tous les efforts consentis. Pire que tout, les œuvres de Marcel se vendent. Sans préciser que ce ne sont pas des originaux, après tout, c’est le jeu qui compte non ? Marcel est heureux, grâce à lui les gens peuvent jouer à tous ces supers jeux ; enfin il suppose qu’ils sont géniaux,  il n’a jamais dépassé l’écran titre. Tiens il parait que faire des boites n’est pas si difficile, ça pourrait faire plaisir aux pigeons clients, Marcel va se documenter….

Internet est vraiment magique. Désormais les copies chinoises à grande échelle pullulent et s’obtiennent pour une bouchée de pain, pourquoi s’embêter à cartmodder? Il suffit de se prendre une petite marge au passage et tout est réglé. Dommage, les cartmods les plus exigeants ne se trouvent pas si facilement, bah Marcel mettra la main à la pâte de temps en temps.

Et les passionnés dans tout cela ?

Le cartmoddeur passionné, lui, a un peu les boules. Son but n’était pas d’ouvrir la boite de Pandore et voir défiler tous les vautours. Il a partagé ses connaissances, pas toujours avec les bonnes personnes, mais c’est un rêveur. Il espère faire comprendre aux détracteurs du cartmodding, que tous les cartmoddeurs ne sont pas des profiteurs, que certains veulent juste poser sur cartouche des jeux amateurs, relever le défi d’un mod difficile ou encore profiter de traductions non officielles sur la machine d’origine.

Le traducteur passionné, lui, a un peu les boules. Son but n’était pas d’ouvrir la boite de Pandore et voir défiler tous ces vautours. Il souhaitait juste proposer aux joueurs la traduction d’un jeu dont ils n’avaient pas pu profiter étant plus jeunes alors que l’Europe était la cinquième roue du carrosse en matière de jeu vidéo. Le traducteur passionné est déçu, il essaie de se battre avec ses armes, empêche ses traductions de fonctionner sur le vrai hardware ou impose des messages d’avertissement au début des traductions. Le cartmoddeur passionné en pâtît, mais cela Marcel s’en fiche.

Le collectionneur passionné a plusieurs visages. Le plus sectaire a identifié le cartmodding comme un parasite et ne prendra pas la peine de s’intéresser à ses bons côtés. Le méfiant, considérera que désormais tout est cartmoddé ; c’est peut-être le plus sage car il convient désormais de se méfier. Le je m’en foutiste, pour qui collection ne rime pas forcément avec original  contribue un peu à sa façon à entretenir cette pratique. L’innocent quant à lui, ne se doute de rien et, espérons-le, ne découvrira jamais que ces 300€ chèrement investis n’en valaient qu’une dizaine…

Alors retrogaming, victime ou coupable ?

Les 2. La loi de l’offre et de la demande a conduit à des prix parfois à la limite de l’indécence. Pas étonnant que certains essaient d’en profiter. En parallèle, la quête du Graal se trouve aujourd’hui entravée par l’existence de copies allant jusqu’à reproduire de manière très fidèle le packaging original.

Quelles solutions ? Il apparaît difficile de parvenir à une baisse du prix de certaines pièces dont la rareté va s’accentuer. De même, si certains sont satisfaits d’une copie en lieu et place d’un original, le cartmodding de la honte  a encore de beaux jours devant lui. A l’heure actuelle, les deux extrêmes de la population de collectionneurs ne semblent pas pouvoir contribuer à lutter contre ce fléau. Il semble aujourd’hui nécessaire d’informer/éduquer le restant de la population, celle qui ignore, celle qui se fait plumer,  afin de lui donner les armes nécessaires pour distinguer le vrai du faux mais pour cela, il faudra s’investir d’avantage que peut l’être un simple clic sur achat immédiat…