Aujourd’hui je vous propose une petite interview de Romain Mahut, Business Development & Communications Manager chez Red Art Games pour en apprendre un peu plus sur lui même ainsi que les coulisses d’une boite d’édition de jeux en version limitée, et c’est français. Cocorico!
1/ Bonjour Romain, pourrais tu te présenter en quelques mots? (note: expérience, profession, profil de joueur, collection, ce que tu veux…..)
Bon, je vais essayer de ne pas trop m’étaler. Je suis Romain Mahut, j’ai travaillé dans la presse jeu vidéo en tant que journaliste pendant près de 15 ans dont 7 passés chez Gameblog. Je suis désormais responsable du business development et de la communication chez l’éditeur français indépendant Red Art Games. Je joue depuis 35 ans maintenant et je collectionne jeux et consoles physiques (je poste des photos de ma collection sur mon compte Instagram perso).
2/ Si tu ne devais ne retenir qu’un seul titre de par l’impact qu’il a eu sur toi, quel serait-il et pourquoi?
Quelle question horriblement difficile ! S’il faut vraiment n’en citer qu’un je dirais Super Mario Bros. sur NES. C’est le tout premier jeu auquel j’ai joué et il a eu un impact durable sur moi. D’ailleurs j’y joue toujours avec plaisir aujourd’hui.
3/ Tu as longtemps officié du coté « critique » du jeu vidéo et tu te retrouves désormais de l’autre coté en tant que Business Development & Communications Manager chez Red Art Games. Je suppose qu’avoir les deux types d’expériences remet en perspective certaines critiques que tu pouvais avoir en tant que journaliste ou au contraire permet d’anticiper les attentes des joueurs vis à vis d’un titre, peux-tu nous en dire plus?
Alors ce n’est pas tant que ça remet en perspective certaines de mes critiques que ça me permet mieux de comprendre pourquoi certains choix ont été faits côté éditeur/développeur. Mais je continue de penser que les considérations budgétaires d’un éditeur, par exemple, ne concernent pas le joueur ou le testeur. En revanche, cela m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement de l’industrie et le processus de création des jeux. L’industrie du jeu vidéo est malheureusement très opaque. Les journalistes et consommateurs n’ont pas conscience de très nombreuses choses. Et s’ils savaient ces choses, que je n’ai pas la possibilité de révéler, ils s’abstiendraient certainement de faire certains commentaires ou demandes que l’on peut voir sur les réseaux sociaux.
4/ On sent depuis quelques années que les éditeurs se désintéressent de plus en plus du support physique, certains constructeurs semblent également vouloir se diriger à terme vers du 100% dématérialisé même s’ils jouent encore la prudence. Une question qui touche donc directement ta nouvelle activité: le physique a t-il encore un avenir à moyen terme? Sur le long terme la version physique sera t-elle le collector d’aujourd’hui?
Je pense qu’il y a un avenir à moyen terme avec la sortie de la nouvelle console de Nintendo et la suite de la génération PS5. C’est après ça que les choses deviennent plus incertaines. Les décisions de Sony vis-à-vis de la PS5 Pro poussent à croire que la PS6 sera dénuée de lecteur physique (je précise que je n’ai pas la moindre info à ce sujet). Du côté de la musique, le vinyle n’a jamais totalement disparu et a fini par revenir en force donc on peut espérer qu’au moins un modèle de console gardera un lecteur à l’avenir même s’il ne s’agira plus du mode de distribution principal. Chez Red Art Games, nous avons bien conscience de la direction du vent, c’est pour ça qu’en plus de l’édition de jeux physiques à laquelle nous tenons énormément, nous éditons également des jeux dématérialisés.
5/ Red Art Games propose des versions physiques de titres qui seraient actuellement condamnés à n’exister que sur les stores des constructeurs. Peux tu nous décrire le process pour parvenir à sortir un titre? (note: identification du titre, discussion avec les ayant-droits, design, impression, revue des bons à tirer/sample, marketing, commercialisation….)
Oh là là, quelle question chargée ! Te décrire tout le processus serait bien trop long et certainement un peu barbant pour tes lecteurs. Mais je dirais qu’au départ il y a un processus de veille des annonces et aussi de parcours des pages des stores pour voir ce qui n’est jamais sorti en physique. Ensuite il y a la phase de négociations si nous sommes parvenus à prendre contact avec le développeur ou l’éditeur du jeu qui nous intéresse. Si le jeu n’est sorti que sur PC, notre studio de développement interne peut le porter sur consoles. Après il y a effectivement tout un tas d’étapes : créations des visuels des produits physiques (et parfois commande de nouveaux artworks si nous n’en avons pas assez), classification PEGI/ESRB, création du produit sur les plates-formes des constructeurs, validation des créations par les ayants-droits, commande des cartouches et/ou disques, etc. En parallèle à tout ça, la communication et le marketing sont préparés eux aussi. Franchement, te détailler l’ensemble de ce qui doit être fait demanderait des heures !
6/ Certaines versions physiques arrivent parfois tardivement dans leur version occidentale, certains joueurs ayant déjà opté pour l’import, parfois lui même multilingue. Cela impacte forcément vos ventes potentielles, comment pouvez-vous lutter contre cela?
Pour ça, il faut créer des liens de confiance avec les éditeurs et développeurs japonais et faire en sorte d’être impliqués le plus tôt possible dans le processus de création des jeux afin de pouvoir nous préparer en amont de la sortie japonais et tenter de s’en approcher le plus possible. Mais c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.
7/ Shikigami no Shiro II ou Castle of Shikigami II sous nos latitudes, est l’une de vos dernières sorties. Arrivent prochainement MACROSS -Shooting Insight ou encore Romancing SaGa -Minstrel Song- Remastered. Red Art Games m’avait habitué à des sorties de titres un peu plus « confidentiels ». Nouvelle politique de cibler des titres avec une visibilité peut être plus importante?
L’envie de travailler sur de plus « gros » jeux a toujours été là. Mais quand tu es un jeune éditeur, relativement inconnu, il est difficile d’obtenir d’emblée de plus gros produits. Il faut faire ses preuves et tisser des liens. Nous sommes plusieurs au sein de l’équipe à être des collectionneurs et des amoureux de jeux japonais, notre envie de nous associer à ces licences et jeux de renoms a donc toujours été forte. Et c’est un plaisir de pouvoir désormais travailler sur de tels titres. Et nous n’allons pas nous arrêter aux titres que tu mentionnes.
8/ Peux tu nous en dire plus sur ces sorties spécifiques et les difficultés éventuelles rencontrées? (note: discussion avec les ayant droits, création des versions limitées…)
Plus le jeu et l’IP sont gros, plus les validations à obtenir vont être nombreuses et pointilleuses. Le contact avec le Japon est constant et comme je le disais précédemment, instaurer une relation de confiance est essentiel. Le piège dans lequel il est important de ne pas tomber est de sous-estimer le temps que les choses vont prendre entre la signature du contrat (ce qui peut être un processus long en lui-même) et la sortie du produit fini.
9/ Je sais que tu es un grand fan de la Dreamcast, si tu avais carte blanche pour ressortir sur les plateformes actuelles un titre de sa ludothèque, quel serait-il?
Là comme ça deux titres me viennent en tête (désolé d’avance de ne pas respecter l’intitulé de ta question) : Blue Stinger et SEGAGAGA. Le premier parce que j’ai beaucoup de sympathie pour ce titre et le second parce que j’adore les délires de SEGA et je pense que c’est un RPG qui mériterait d’être proposé au plus grand nombre (au moins en anglais). Alors que j’écrivais ma réponse d’autres jeux me sont venus en tête mais je m’abstiendrai de spammer !
10/ La dernière question est en général une tribune libre, un petit message à faire passer à ceux qui liront cette interview?
Je vais utiliser un lieu commun et dire que les gamers votent avec leur porte-monnaie. On voit beaucoup de gens soutenir à corps et à cri le jeu physique sur les réseaux sociaux, ou réclamer que tel ou tel jeu sorte en boîte. Mais il y a une réalité économique derrière la création de jeux physiques, et encore plus dans une industrie du jeu vidéo en crise. Des quantités minimum doivent être produites et ces dernières ont un coût. Si le public veut que des jeux physiques continuent de sortir, il faut que de leur côté ils les achètent. Nous sommes de fervents soutiens du jeu physique (nous avons même commencé à faire du jeu physique sur Xbox, l’inverse de ce que beaucoup d’autres font) et nous continueront de le faire tant que possible. Mais sans l’aide du public, le jeu physique est condamné !
Et pour ce qui est de Red Art Games dans son ensemble, je dirais que nos grosses annonces de cette année sont un apéritif de ce que nous préparons. Nous avons plein de beaux projets sur les rails et j’invite tous les monde à rester connecter à nos réseaux sociaux pour ne rien manquer de ce qui arrive !