Seize longues années séparent la fin des aventures de Ryo dans Shenmue II et ce troisième épisode, du moins en Europe. Une éternité pour beaucoup de joueurs dont certains avaient tiré un trait sur la suite du voyage initiatique de Ryo pour venger la mort de son père. Jusqu’à ce fameux jour où l’espoir est revenu par le biais d’un kickstarter. Puis la douche froide avec les premiers screens et trailers. En grand fan de Shenmue, j’avais backé cet épisode avant de me rétracter, guère rassuré par ce qui m’avait été montré. Je profite de cette introduction pour remercier les joueurs qui ont su garder la foi et permettre cette sortie, chaotique, difficile mais qui permet enfin de retrouver Ryo, et ce dernier n’a pas changé.
Comme il aurait du être, il y a une dizaine d’années
Car effectivement cet épisode ne va pas perturber les fans, tant il semble indéniablement ancré dans le passé. Animations rigides, visages Shenmuesques, jeu contemplatif, mini jeux et gashapon, toutes les caractéristiques des deux premiers épisodes parus sur Dreamcast sont de retour. Comme si au final le temps ne s’était pas écoulé. Si les deux premiers épisodes étaient des maîtres étalon de l’époque, de l’eau a depuis coulé sous les ponts. Shenmue n’est plus une prouesse technique. Intimement lié à la destinée de SEGA, ce dernier a fait l’impasse et mise sur la saga Yakuza, héritier de Shenmue l’ayant dépassé dans de nombreux domaines, notamment technique. Le fait de devoir passer par un kickstarter est révélateur, les fans sont le moteur de cette sortie et Shenmue III leur est principalement destiné, exclusivement serais-je tenté de dire.
Une identité conservée
Comme je le soulignais, nous allons suivre le parcours de Ryo bien décidé à venger le meurtre de son père. Je ne rentrerai pas plus dans les détails du scénario, ceux qui lisent cet article le connaissent déjà, les autres ont probablement déjà passé leur chemin. Le parcours de Ryo est fait d’apprentissage, de contemplation, de souffrance et de sacrifice, y compris du coté du joueur. Les années ont passé et elles n’ont pas eu d’emprise sur Shenmue, dans le bon comme dans le mauvais sens. Shenmue III ne peut lutter contre les mastodontes de l’open world et d’ailleurs il n’a pas la prétention de le faire. De ce fait, les nouveaux joueurs ne seront pas charmés. Les anciens retrouveront avec plaisir le fait de fouiner dans chaque recoin, d’observer un gashapon dans le creux de sa main, de respecter une chronologie d’événements, de se perdre dans les méandres d’une cité pour tomber sur des combats clandestins ou tout simplement de flâner dans une représentation charmante, à la limite de la caricature, de la Chine…
Avec quelques bémols cependant, outre l’aspect technique daté mais loin d’être catastrophique, l’un des reproches que l’on pourrait faire à Shenmue III se situe au niveau des mini jeux dans un premier temps. Moins intéressants, ils se répètent inlassablement dans les différentes régions du titre (en nombre plutôt réduit dans cet épisode). Cela ne serait pas un problème s’il s’avéraient finalement assez facultatifs comme chez ses aînés. Cependant Shenmue III introduit une composante d’endurance. Ryo se voit affublé d’une jauge qui s’épuise au cours du temps, à la moindre action de notre héros. Et celle-ci se révèle plutôt contraignante en début de jeu. La jauge se vide assez rapidement, empêchant même notre héros de courir plus de 10 mètres lorsque cette dernière est quasiment vide. Il est donc nécessaire de se nourrir régulièrement, mais pour cela, il faut acheter sa nourriture auprès des nombreuses boutiques qui parsèment le jeu. Et donc gagner de l’argent, par le biais de ces mini jeux et autres tâches…
Métro, boulot, dodo
D’une certaine liberté d’action dans les deux premiers épisodes, on passe donc à un routine nécessaire. Travailler ou jouer pour gagner de l’argent afin de financer la nourriture vous permettant d’être en forme pour parfaire votre entrainement. Une sorte de spirale de l’enfer à laquelle s’ajoutent d’autres tâches nécessitant de mettre la main au portefeuille. Heureusement, l’entrainement aidant, Ryo deviendra plus résistant ce qui, couplé à une bonne nuit de repos, vous permettra d’appréhender au mieux vos activités. Si la notion d’effort, voire de pénibilité, a toujours fait partie de l’ADN de Shenmue, elle est extrêmement présente dans le jeu, atteignant ici son paroxysme. Certains crieront au génie d’être allé aussi loin dans le concept, d’autres seront plus nuancés en regrettant ce coté contraignant et un manque de souplesse dont la frustration se fera l’écho.
Du coté des points « négatifs » on peut également citer les combats, eux aussi en retrait par rapport à ceux des précédentes itérations de Shenmue. Ou disons plutôt qu’ils n’ont su évoluer. Mollassons, la seule excitation est procurée par l’inconnue de savoir si l’on va tomber sur plus fort que soit. On ne ressent pas vraiment les coups, les enchaînements sont anecdotiques et on a du mal à prendre plaisir aux différentes rixes auxquelles on participe. Dommage lorsque se souvient comment Shenmue avait fait bonne impression dans le domaine à l’époque. Là encore, les concurrents ont su peaufiner avec le temps la base établie par Shenmue, à contrario de ce titre figé dans le continuum espace temps.
Et pourtant…
Qu’il est bon de retrouver Shenmue. Ses quêtes parfois alambiquées, sa poésie dans chacun des tableaux qu’il dépeint, ce coté « doudou » lorsque l’on ouvre le carnet pour la première fois et qu’on laisse l’emblématique thème du jeu se dérouler pendant 10 minutes, sans toucher la manette, mais avec un sourire béat aux lèvres.
Shenmue a incontestablement perdu de sa superbe mais ce troisième épisode saura parler, voire toucher, les fans de la première heure. Anachronique, débordant de charme dans ses paysages et d’une certaine naïveté dans ses personnages, le titre assurera parfaitement le rôle de la madeleine de Proust pour beaucoup de joueurs, qui sauront ainsi lui pardonner ses errances. Y compris celle de ne pas clôturer la quête de Ryo, y compris celle de ne pas savoir si elle le sera vraiment un jour…Shenmue III c’est un peu le vieux copain perdu de vue depuis des années que l’on retrouve avec plaisir pour se remémorer le passé le temps d’une soirée, mais avec qui on a finalement plus grand chose en commun aujourd’hui.
Support: PS4, PC Développeur: YS Net – testé sur PS4 à partir d’une copie fournie par l’éditeur, merci à lui